tiens drôle de rapport : Olivier Bobineau ( le nom de mon voisin) parle du Hellfest en répondant aux questions de TF1 :
Olivier Bobineau, sociologue des religions (1) : Dans l'opinion publique, la musique
metal est en effet associée à la musique satanique. Cet amalgame vient de la confusion entre les termes "
satanisme" et "sataniste".
La musique
metal se réfère à plusieurs imaginaires : la mythologie nordique avec ses grands guerriers et longues chevauchées ; la mythologie révolutionnaire, subversive et anti-sociale, incarnée en France par le groupe Trust ; l'imaginaire "sex, drugs and rock'n'roll" (Ian Dury) et forcément l'imaginaire satanique.
Dans ce dernier univers, se croisent le diable de la Bible, le mal, le pentagramme... Mais aussi des sorcières, des pervers ou encore Aleister Crowley, un illuminé anglo-saxon de la fin du XIXe siècle. A travers leurs textes et leurs looks, les métalleux vont piller dans cet imaginaire satanique. Leur spectacularisation va s'en inspirer : croix inversées, "666" chiffre attribut du diable... C'est ce que j'appelle le "bricolage culturel" comme Claude Lévi-Strauss et même le braconnage culturel à la suite de Michel de Certeau.
Ainsi, avec ses paroles mentionnant le diable, ses tenues très sombres, Black Sabbath, un des groupes fondateurs de la musique
metal, utilise l'imaginaire satanique. Et dans un style radicalement différent, le groupe allemand pour midinettes Tokio Hotel se réfère lui aussi à cet univers satanique. Lors de leur concert, les lolitas font le signe de la bête. Sont-elles pour autant satanistes ? Suis-je considéré comme adhérent sataniste parce que je fais référence à un imaginaire satanique accessible à tout à chacun ? Non, bien évidemment. Hormis quelques très rares cas, les métalleux n'adhèrent pas à la religion sataniste ni ne croient au diable.
TF1 News : Alors être sataniste, c'est quoi ?
O.B. : C'est répondre à quatre critères. Le premier : connaître un minimum la doctrine de Satan, celle élaborée par l'Américain Anton LaVey. Il a écrit
La Bible satanique en 1966 puis
Les rites sataniques en 1969. Je me suis permis de résumer cette doctrine de Satan en deux mots : l'égocentrisme libertaire. Le sataniste est centré sur son ego et considère comme première sa liberté individuelle. C'est le culte du je, du moi. De fait, il est contre les sept figures de l'autorité dans l'Occident : le père, le professeur, le prêtre, le patron, le prince, la patrie et le parti.
Il faut ensuite se déclarer sataniste. Comme dans toutes les religions, il faut qu'il y ait une déclaration de foi. Troisième critère : il faut participer à des rites, pratiquer des codes et paroles invoquant l'entité et le symbole diabolique. Enfin, il faut appartenir à une communauté plus ou moins informelle, qui communique essentiellement par voie d'internet aujourd'hui.
TF1 News : Combien y a-t-il de satanistes en France ?
O.B. : Une centaine au total. Parmi eux, dix appartiennent à l'Eglise de Satan, dont est également membre Marylin Manson. A noter qu'aucun sataniste n'a profané de tombes ni tué un prêtre. Pourquoi ne commettent-ils pas d'acte criminel ? Pour la raison anthropologique suivante : quand on commet un acte criminel ou illégal, on a la justice sur le dos. Or le principe sacré pour l'adorateur soi disant de Satan, c'est sa liberté individuelle et ce que redoute le plus le sataniste, c'est l'autorité policière et judiciaire qui le poursuivraient pour un délit, un crime. Cela lui ferait perdre sa liberté de s'exprimer, de se déplacer, ses biens les plus précieux. Ceux qui commettent des crimes, comme des profanations, sont des néo-nazis, des fascistes, des cas sociaux ou pathologiques.
TF1 News : Si le fan de metal n'est pas sataniste, pourquoi se réfère-t-il alors autant à cet imaginaire satanique ?
O.B. : Car dans sa doctrine, le
satanisme est contre les autorités. Quand tu es jeune, tu construis ton identité. Tu vas soit suivre le mouvement, soit être contre le mouvement. Dans l'Occident, la culture dominante, c'est le christianisme avec une institution, l'Eglise catholique, qui contrôle les moeurs et les esprits.
TF1 News : C'est donc une simple rébellion ?
O.B. : C'est une contre-culture. C'est une construction identitaire. Quand écoute-t-on ces musiques ? A l'adolescence. Et cette contre-culture n'a pas le choix. Elle ne va pas être contre l'islam, sa matrice culturelle, ce sont les symboles chrétiens. Je veux m'y opposer, je prends l'inverse. En l'occurrence, l'imaginaire diabolique ("ce qui divise", en grec) s'oppose à la symbolique ("ce qui rassemble", en grec) chrétienne.
Il ne faut pas oublier que le subversif d'hier, la contre-culture d'hier sera la culture dominante de demain. Un exemple parmi tant d'autres : hier, les Rolling stones chantaient Sympathy for the devil (Gloire à Lucifer) ; aujourd'hui, ils chantent pour les 80 ans de la reine d'Angleterre. Et Mick Jagger est devenu Sir Mick Jagger...
TF1 News : Certains détracteurs du Hellfest lui reprochent "d'inciter à la haine". C'est le cas notamment de Christine Boutin.
O.B. : Je répondrai qu'il faut mieux exprimer symboliquement la violence que la commettre physiquement. La violence de la musique de leurs textes anticonformistes et subversifs reste cathartique : elle permet de libérer les pulsions sans recourir à l'action violente. Vu qu'aucun crime n'a été commis par ceux fortement marqués par cette culture sataniste, cela serait sans doute pire si ces jeunes hommes et jeunes femmes n'avaient pas la possibilité d'exprimer cette violence symbolique...
(1) Sociologue des religions, Olivier Bobineau est membre du Groupe Société, Religions, Laïcités (CNRS/EPHE). Il est également maître de conférences à l'Institut catholique de Paris et à Sciences Po Paris et directeur de la collection "Religion et Politique" chez Desclée de Brouwer. Il a notamment dirigé en 2008 l'ouvrage Le
Satanisme. Quel danger pour la société ? (Flammarion-Pygmalion)